« Pour traiter de façon pertinente et efficace la question des risques, il faut intégrer les sciences humaines et sociales (SHS) à égalité avec les autres sciences […] et c’est ce que le projet RISC contribuera à faire » souligne en ouverture de la réunion Stéphanie Vermeersch, directrice adjointe scientifique de l’institut SHS du CNRS.
La place des SHS et de l’interdisciplinarité est en effet centrale dans ce projet ciblé du PEPR Risques (IRiMa). Le projet RISC, coordonné par Soraya Boudia (CNRS), intervient dans un contexte d’augmentation sans précédent des risques et des catastrophes liées à la combinaison des impacts du dérèglement climatique avec les activités humaines, et vise à répondre à 4 objectifs :
- Caractériser le système français d’étude et de gestion des risques et des catastrophes ;
- Contribuer à la construction d'un nouveau cadre d’analyse et de gestion intégrées des risques qui prend en compte les dimensions sociales et politiques, permettant de faire face à la superposition, à l’intrication et aux interdépendances de différents risques ;
- Concevoir et expérimenter de nouveaux outils et dispositifs de gouvernance inclusive des risques en collaboration avec différentes parties prenantes (scientifiques, décideurs, sphères opérationnelles et citoyens)
- Développer et structurer une communauté SHS sur les risques et les catastrophes.
Il est organisé en 4 workpackages présentés ci-dessous.
Caractériser les infrastructures et données d’observation et surveillance des risques
Les régimes contemporains de connaissance, de prédiction et de prévention des risques reposent sur une production massive de données scientifiques, sur leur traitement et mise en forme destinés à différents types d’acteurs publics et privés (autorités publics, assureurs…). La production de ces données est facilitée par des équipements et infrastructures de plus en plus étendus, des capteurs dispersés et automatisés, un déploiement de satellites, l’augmentation des capacités de calcul et de stockage ainsi que de nouvelles méthodes d’extraction et de traitement de big data. C’est pourquoi, un premier workpackage, coordonné par Nestor Herran (Sorbonne Université) et Soraya Boudia (CNRS) concerne les infrastructures et données.
- Le premier volet est consacré à l’analyse des réseaux d’observation et de surveillance des risques sismo-volcaniques sur le territoire français, à travers la conduite d’entretiens auprès d’acteurs du domaine et la constitution d’archives orales. La recherche permettra notamment de mieux expliciter les rapports entre surveillance et observation qui sont sur le terrain deux domaines en interaction, soit par l’échange et la synergie, soit par la friction et les tensions.
- Un deuxième volet consiste à cartographier les outils et pratiques de la surveillance citoyenne et participative des risques (séismes, volcans) pour analyser la structuration des acteurs, et à mener une enquête auprès des parties prenantes pour identifier les motivations et contraintes. L’équipe du projet prévoit de plus l’organisation d’ateliers de concertation sur l’élaboration et la diffusion de protocoles concertés en Outre-mer et en Méditerranée. Ces travaux alimenteront la rédaction d’un White Paper sur les enjeux et la mise en œuvre de recherche participative.
- Enfin, un état de l’art international sur les réseaux d’observation et de surveillance des séismes et des volcans est planifié, en vue d’une analyse comparative avec le système français.
Quelles politiques des multirisques ?
Les catastrophes ne sont plus ce qu’elles étaient. « Si historiquement elles paraissaient être le fruit de la rencontre entre un aléa qui s’exprimait localement, et des vulnérabilités qui caractérisaient une population ou un territoire, elles semblent aujourd’hui être le produit plus complexe de l’interaction entre plusieurs risques combinés, impliquant différentes échelles, et dont les causes et les frontières spatiales et temporelles sont moins délimitées » explique Benoit Giry (Sciences Po Rennes), co-responsable du deuxième workpackage avec David Demortain (INRAE).
Ces événements représentent un défi pour l’action publique car les politiques de prise en charge sont encore très structurées par risques, organisées en silos, précise-t-il.
Dans ce nouveau régime de catastrophes, que deviennent alors les acteurs, les savoirs et les instruments de la gouvernance des risques et des catastrophes ? Telle est la question au cœur ce travail qui sera développé en 3 axes :
- Analyse des approches des multirisques : avec un intérêt porté à la construction de l’objet « multirisques » et la production d’un état de l’art et une base de données sur les approches multirisques.
- Territorialisation des politiques d'adaptation et de résilience : il s’agira d’identifier les contraintes qui structurent les relations entre les différents niveaux de gouvernance des risques et catastrophes. L’équipe prévoit notamment une enquête sur la gouvernance multiniveaux des catastrophes en France, ainsi que sur les différentes pratiques d'appropriation de la notion de résilience dans les territoires, et un état de l'art sur la climatisation et la territorialisation des politiques des risques.
- Gouvernance anticipatrice des infrastructures critiques : cet axe se focalise sur les pratiques et les savoirs d’anticipation des risques. Quel type de gouvernance anticipatrice est mise en œuvre pour prendre en compte la multiplicité et l’imbrication des risques ? Comment ces problèmes complexes font évoluer les formes de savoirs anticipateurs, les modélisations, scénarisations et techniques de calcul diverses ? Un état de l’art sur les modèles, scénarios et savoirs d’anticipation des risques, et sur les infrastructures critiques à l’épreuve des risques émergents, sera réalisé.
Laves torrentielles dans la rivière du Prêcheur suite à l’éboulement du piton Marcel (Montagne Pelée, Martinique) du 11 mai 2010.
© BRGM - Anne-Valérie Barras
Mieux caractériser et prendre en compte les vulnérabilités multiples et leurs interdépendances
Dans un contexte de changements globaux, on observe non seulement une superposition et une intrication des risques, mais aussi des vulnérabilités. Ce workpackage, coordonné par Nathalie Jas (INRAE) et Annabelle Moatty (CNRS), a pour ambition de contribuer à construire des cadres d’analyse qui prennent pleinement en compte les vulnérabilités multiples et leurs interdépendances. Il est centré sur les outre-mer qui sont des territoires particulièrement exposés à un ensemble de risques et qui cumulent des vulnérabilités sociales et économiques importantes, et s’articule autour de :
- L’analyse et la synthèse des approches des vulnérabilités multiples : l’équipe souhaite établir un bilan des approches disponibles sur les prises en comptes des vulnérabilités, et explorer les réflexions les plus récentes sur la question des vulnérabilités multiples et leur appropriation. Il s’agira ensuite d’examiner comment ces approches sont intégrées dans les politiques publiques mises en œuvre dans les DROM, et analyser notamment les métriques et les outils utilisés.
- Le bilan de la prise en compte des vulnérabilités dans les reconstructions post-catastrophes passées : la recherche qui sera menée permettra d’analyser la production, le renforcement ou la réduction des vulnérabilités après une catastrophe (cyclones, tsunamis, séismes) aux Antilles et à Mayotte. Ce travail devrait permet, d’une part, de documenter les capacités d’adaptation de sociétés exposées à des aléas variés et à plusieurs pas de temps, et d’autre part, de questionner les stratégies de prévention et de réduction des risques et vulnérabilités mises en œuvre localement et à l’échelle nationale.
- L’élaboration de nouveaux dispositifs d’intégration des vulnérabilités multiples : à travers la conception d’une démarche expérimentale d’ateliers de concertation pour mettre en discussion les métriques concernant les vulnérabilités, les freins et leviers possibles et les modalités pratiques d’intégration des problématiques de vulnérabilités. L’équipe souhaite également structurer un réseau scientifique international pluridisciplinaire en SHS.
Un Risk Lab pour une gouvernance inclusive des risques
Enfin, le dernier volet du projet cherche à contribuer à la conception et la mise en œuvre d’une gouvernance inclusive pour une réduction durable des risques et catastrophes.
- La première étape est la réalisation d’un état de l’existant en matière de travaux et d’actions sur la gouvernance inclusive des catastrophes, à partir d’une revue de la littérature et une cartographie des actions de prévention et de gestion des risques et des catastrophes qui impliquent un rôle actif des habitants d’une zone concernée par des risques majeurs. L’objectif est d’engager des échanges et des collaborations avec différents Labs explique Nils Kessel (Université de Strasbourg), co-coordinateur de ce workpackage.
- A partir de cet état des lieux, l’enjeu est de créer un Risk Lab afin de mettre en pratique des stratégies de réduction durable des risques et des catastrophes. Il s’agira d’identifier le périmètre, les actions cibles et les actions prioritaires (co-construction d'actions d'éducation aux risques, exercices d'anticipation, jeux, simulations, etc.).
- Enfin, un réseau international de coopération des Labs sera constitué, pour pérenniser la coopération internationale et favoriser le partage d’idées au-delà du PEPR Risques (IRiMa).
La réunion de lancement fut l’occasion de favoriser les échanges entre les membres du projet et des acteurs scientifiques et institutionnels externes. Elle sera suivie par un séminaire scientifique les 14-15 novembre 2024 à Paris, ouvert sur inscription, pour approfondir ces discussions.
Le projet RISC, coordonné par le CNRS, associe l’INRAE, l’IRD, l’IRSN, Sorbonne Université, l’Université Grenoble Alpes, l’Université de Strasbourg et l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.